Jésus et la violence. L’expulsion des marchands du Temple dans l’exégèse patristique (Mt 21, 12-13 ; Mc 11, 15-17 ; Lc 19, 45-46 ; Jn 2, 13-17)
L’action de Jésus dans le Temple, par sa singularité, interroge sur la personnalité de Jésus, et elle constitue une pièce importante du dossier pour ceux qui cherchent à reconstituer non seulement le message de Jésus, mais aussi le sens et les modalités de son action historique. Depuis la 2e moitié du xxe s., avec une sensibilité à la violence plus aigüe, les exégètes ont mis en lumière que le recours au fouet s’exerçait, dans l’acte de Jésus, davantage sur les animaux que sur les marchands et les échangeurs. Les auteurs patristiques n’ont eu, pour leur part, aucune réserve à admettre que Jésus ait pu infliger des coups à des hommes : la violence physique n’occupait en effet pas la même place dans les sociétés de l’Antiquité, et la distinction entre frapper les animaux et des hommes jugés malhonnêtes n’avait pas la même portée que pour nous. En revanche les auteurs chrétiens de l’Antiquité, à la différence des évangélistes qui ne mirent pas spécialement en valeur cet épisode, semblent avoir été sensibles à la singularité de l’acte de Jésus dans cette circonstance, même si l’interprétation allégorique, qu’elle soit ecclésiologique ou spirituelle, masque bien souvent la perception qu’ils ont pu en avoir. Lorsque les auteurs ont traité de front la question, ils y ont vu surtout une manifestation de la puissance de Dieu. Origène ouvrit la voie, même s’il renonça, au bout du compte, à l’interprétation historique, et Jérôme marcha dans ses pas, en développant des considérations, sans doute inspirées d’un évangile judéo-chrétien, sur le regard divin du Christ. L’acte de force de Jésus n’était pas un geste de colère, mais il devenait une manifestation de puissance, et donc de divinité, qui s’inscrivait dans la mission qui était la sienne sur terre. Jean Chrysostome y voit davantage une manifestation de son engagement dans sa mission et un témoignage, destiné aux Juifs, de sa fidélité au Père. Au bout du compte, ces auteurs ne prirent guère prétexte de ce geste pour admettre l’usage de la violence et donc le recours au bras séculier contre les adversaires religieux. Si Augustin le fit dans le contexte de la lutte avec les donatistes, cela resta ponctuel, et la péricope ne joua qu’un rôle marginal dans le chemin qui conduisait à la légitimation de la violence dans les débats religieux.